"représenter l'irreprésentable,voir l'invisible,toucher l'insensible"(Novalis)
Maeterlinck n'a pas rédigé de doctrine poétique ou de dramaturgie en tant que telle. Ses idées esthétiques sont formulées dans des textes fragmentaires
à l'occasion de représentations théâtrales ou bien d'essais. En voici quelques fondements.
L'écriture doit explorer les domaines mal définis de l'âme et de l'inconscient ( on peut rappeler qu'à l'époque les notions freudiennes d'inconscient
n'étaient pas encore conceptualisées). Maeterlinck est fasciné par les "gestes inconscients" de notre quotidien, le rêve (voir article qui lui est consacré), à la folie et aux incohérences de
l'instinct. Il est convaincu que cette irrationalité est indispensable à la vie. "La pleine clarté est nuisible à la vie d'une plante, qui a beasoin d'obscurité pour sa croissance".
Or, la "littérature rationnelle" et le théâtre classique laissent peu de place à l'indetermination tandis que les carences du langage nous empêchent
d'explorer les zones d'ombre de la condition humaine. Il s'oppose ainsi à la théorie de "réflexion calculée de l'artiste" de Poe qu'il juge "un peu fallacieuse" de même qu'à Baudelaire pour qui
la beauté est produit de la raison et du calcul.
"Je crois que tout ce qui ne sort pas des profondeurs les plus inconnues et les plus secrètes de l'homme n'a pas jailli de sa source légitime" (Confession d'un poète).
Il est donc nécéssaire de définir une nouvelle esthétique pour permettre cette correspondance entre visible et invisible d'où ces quelques traits
caractéristiques des oeuvres de Maeterlinck :
1) place prépondérante accordée au silence "positif"
c'est à dire porteur de sens et non pas simple absence de parole. En effet, face aux carences du langage, incapable d'exprimer certains aspects de notre inconscient, le silence "dit l'ineffable"
et nous fait préssentir "les mystères de notre être".
"Le silence est l'élément dans lequel se forment les grandes choses, pour qu'enfin elles puissent émerger, parfaites et majestueuses, à la lumière de la vie qu'elles vont dominer."
2) importance des répétitions, points de suspension, phrases inachevées, déconstructions
syntaxiques...
principes repris entre autres par le théâtre de l'absurde
3) le "théâtre statique'', l'immobilisme
4) le refus de l'acteur
"l'absence de l'homme me semble indispensable"(Propos sur le théâtre"). Comme le préconiseront plus tard les dramaturges du théâtre de l'absurde, Maeterlinck veut supprimer la profondeur
psychologique , la cohérence rationnelle de ses personnages. Ils deviennent ainsi des automates, des créatures, "des petits être fragiles". De plus, il est fréquent de parler de personnages
absents comme s'ils étaient présents (les Aveugles), de parler de personnages morts comme si ils étaients vivants (l'île aux cimetières) ou que le personnage principal soit un
concept ( l'oiseau bleu) ou la Mort ( l'intruse,les Aveugles). L'idéal pour Maeterlinck serait un "théâtre de marionettes"(d'ailleurs, la plupart des mises en scène de l'oiseau
bleu ou de la mort de Tintagile sont réalisées par des théâtres de marionettes aujourd'hui).
5) intrigues et paroles simples.
Il s'agit pour maeterlinck d'un moyen pour établir une relation intime avec l'invisible et l'inconnu. Maeterlinck veut ainsi mettre en exergue le "tragique du quotidien" et faire découvrir
aux spectateurs les mystères qui se cachent sous la banalité.
6) nombreuses références mythologiques scandinaves, germaniques, celtes.
7) importance des symboles
la porte (princesses Maleine), la fontaine(Pélléas et Mélisande), la forêt(Les Aveugles), l'île ( l'anneau de Polycrate), l'île aux cimetières...Maeterlinck
distingue deux types de symboles. "Le symbole a priori" qui désigne un symbole souvent conventionnel introduit volontairement par l'auteur et un symbole "inconscient" introduit à l'insu du
poète.
8) la "cruauté métaphysique au théâtre"
Pour Maeterlinck, la tragédie ne peut se passer de l'horreur. "Là où l'horreur manque il n'y a ni amour ni lumière[...]la cruauté est le spasme suprême de la pitié et la haine la frénésie de
l'amour.[...]. Il faut en arriver à produire de la terreur avec n'importe quoi (Le cahier bleu).
On peut presque rapprocher cette théorie de la définition du sublime par Edmond Burke dans Recherchre philosophique sur l'origine sur nos Idées du sublime et du beau .
« Lorsque le danger ou la douleur serrent de trop près, ils ne peuvent donner aucun délice et sont simplement terribles ; mais, à distance, et avec certaines modifications, ils peuvent être
délicieux et ils le sont, comme nous en faisons journellement l’expérience. »
Une telle conception anticipe surtout le "théâtre de la cruauté" d'Antonin Artaud théorisé dans le Théâtre et son double quarante ans plus tard.
Les repères dramatiques habituels devenus inopérants, dérisoires, le spectateur déconcerté est invité à poser ses armes intellectuelles, à contempler une succession de
tableaux sans suite, à écouter un phrasé quasi musical, peu accessible à l’entendement convenu, à se perdre dans l’élan d’une dynamique inconnue. Ayant abandonné ses représentations familières,
il s’initie, avec les personnages, à ce qui l’affecte communément sans qu’il s’en doute suffisamment : la fatalité à l’état pur.
Bibliographie : Paul Gorceix Maeterlinck,l'Arpenteur de l'invisible Académie royale de langue et de littérature françaises